Rwanda : la BNP visée par une enquête pour « complicité de génocide »
– Le Figaro 2017 –
Le parquet de Paris a ouvert une enquête après une plainte de l’ONG Sherpa. La banque est soupçonnée d’avoir transféré des fonds utilisés pour acheter des armes en juin 1994.
La justice française va enquêter sur le rôle de la banque BNP Paribas, accusée d’avoir financé l’achat d’armes par le gouvernement rwandais en plein génocide. Le parquet de Paris a confirmé lundi l’ouverture d’une information judiciaire le 22 août pour « complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité », après la plainte avec constitution de partie civile déposée en juin par l’ONG Sherpa. Les investigations ont été confiées à deux juges du pôle génocides et crimes de guerre du tribunal de grande instance de Paris qui instruit déjà plus de 20 dossiers liés au génocide rwandais de 1994.
« Ce n’est pas une surprise en soi puisque l’ouverture d’une information judiciaire est presque automatique dans ce cas-là. Mais la rapidité de la chose est à noter », confie-t-on chez Sherpa qui œuvre aussi pour le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et l’ONG Ibuka France.
Le fond de l’accusation n’est pas non plus étonnant. Il est connu depuis longtemps. Les faits sont d’ailleurs décrits avec précision dans le rapport de la Commission internationale d’enquête des Nations unies sur les livraisons d’armes illicites dans la région des Grands Lacs, publié en 1998. À l’époque, les experts avaient sollicité le Quai d’Orsay en vain.
La commission avait démontré que 17 juin 1994, un achat d’armes de 1,3 million de dollars (1,1 million d’euros) avait été finalisé aux Seychelles entre un intermédiaire sud-africain, Willem Tertius Ehlers, un officier zaïrois et le colonel Théoneste Bagosora, considéré comme le «cerveau du génocide». La cargaison, pour l’essentiel des Kalachnikovs et des munitions, était officiellement à destination du Zaïre, le Rwanda étant frappé depuis mai d’un embargo de l’ONU sur les armes. Dans les faits, les armes, livrées en avion à Goma dans l’est du Zaïre d’alors, ont immédiatement été dirigées vers les Forces armées rwandaises (FAZ) ou leurs supplétifs. Un transfert confirmé par le colonel Bagosora lors de son procès devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) où il devait être condamné à 35 ans de prison.
D’autres banques avaient refusé ce transfert
Un tel achat n’aurait pu être possible sans les fonds débloqués par la BNP, affirme Sherpa. La banque française a accepté de verser 1,3 million de dollars, à la demande de la Banque nationale du Rwanda, notamment sur le compte de M. Ehlers à l’Union bancaire privée (UBP) à Genève. Ancien officier de marine sud-africain et ex-secrétaire privé du premier ministre Pieter Willem Botha, Willem « ters » Ehlers dirigeait alors une petite société Delta Aero.
Pour Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux pour Sherpa, la BNP aurait eu nécessairement connaissance que ce transfert de fonds allait contribuer à l’achat d’armes et au génocide. Plus gênant pour l’établissement français, selon l’ONG, plusieurs autres banques, dont le Banque Bruxelles-Lambert (BBL), avaient refusé d’effectuer la transaction quelques jours auparavant. Les États-Unis devaient s’émouvoir de ces mouvements, poussant les autorités des Seychelles à bloquer une troisième livraison d’armes le 20 juin 1994. Lundi, BNP Paribas ne réagissait pas. Dans un communiqué, la banque soulignait simplement que l’ouverture d’une information judiciaire est « la suite mécanique et obligatoire dans le cadre d’un dépôt de plainte de ce type. Cela ne constitue en aucun cas un développement nouveau. Ce sont des faits très anciens datant de 1994. La Banque informe qu’elle n’a pas eu communication de la plainte annoncée par voie médiatique, et qu’elle n’en connaît donc pas la substance. Dans ces conditions, il n’est pas possible de commenter plus avant ».